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[vague post écrit et posté le 26.11.2019]

Eric Baudelaire - la première fois que j’avais entendu parler de son travail, c’était à Marseille, lors d’un séminaire autour de la notion de vivre-ensemble. à cette occasion, un petit groupe d’étudiants issus de différentes écoles d’art de France s’était rendu ensemble à la Plaine, cette place populaire, très importante symboliquement pour les habitants de la ville, dont le rasage puis la reconstruction avait été acceptée par la mairie. nous l’avions filmée, documentée, y avions recueilli des témoignages quant à cet événement.

le soir, quand nous avions fait un compte-rendu de notre journée, s’était posée la question de l’enregistrement ; certain.e.s d’entre nous avaient recueilli des témoignages en demandant aux habitants du quartier qui discutaient du sort de la Plaine s’ils.elles acceptaient d’être enregistré.e.s à cette occasion (ou en ne le demandant pas, juste en montrant clairement que c’était le cas, un zoom à la main). d’autres avaient gardé leur portable en mode enregistreur dans leur poche pendant leurs conversations, disant que les propos deux ceux.celles avec qui ils.elles parlaient étaient alors plus naturels, ils.elles s’adressaient directement à quelqu’un sans réfléchir à si oui ou non leurs propos étaient susceptibles d’être diffusés par la suite, ou utilisés à d’autres fins.

une des organisatrices du séminaire avait évoqué qu’Eric Baudelaire avait utilisé, dans un de ses films, des caméras de surveillance, et posait les mêmes questions que l’on s’était posées. je n’ai jamais réussi à retrouver exactement de quel film il s’agissait, bien que j’ai lu quelque part que dans ''Also known as jihadi'', figurait une scène filmée à travers un de ces caméras. outre cette remarque de l’organisatrice, après avoir vu l’exposition ''Faire Avec'' au CRAC Occitanie, je me suis dit que ce séminaire et le travail de l’artiste étaient liés sur d’autres points. faire face au réel, face au présent, travailler dans l’urgence, questionner la place de l’image, la place de l’auteur et du sujet…

''Faire Avec'' occupe l’ensemble des espaces du CRAC Occitanie, centre d'art installé dans un ancien entrepôt frigorifique de poisson situé sur le port de Sète. dans les trois premières salles, a été remise en espace l’exposition ''après'', qui avait d’abord été présentée au centre Pompidou il y a quelques années de ça. dans la salle du fond du rez-de-chaussée, l’installation ''l’Anabase'' est exposée, et les deux dernières salles de cet étage sont réservée à l’installation ''When there is no more music to write'' (chap.1 et 2). au 1er, on trouve dans une salle l’installation épistolaire ''Where are you going ?'', ainsi que le long-métrage qui a fait gagner à l’artiste le prix Marcel Duchamp cette année, ''Un film dramatique''.

3 long-métrages diffusés à travers les 10 salles, on n’a pas assez de temps pour tout voir, il va falloir faire des choix. au final je me plonge dans l’exposition ''après'', construite autour du film ''Also known as a jihadi'' - que je ne verrais malheureusement pas aujourd’hui.

le film en question parle de l’histoire d’un jeune français qui part en Syrie. c’est un film sans paroles, où l’auteur montre à voir les lieux que le personnage a traversés, et non le personnage en lui-même. la manière dont est construit le film tente de ''créer un espace dans lequel le personnage n’est plus singulier. il pourrait être un autre. il pourrait être soi-même.'' le principe de travail que Baudelaire a mis en place lors du tournage de ce film l’a poussé vouloir le montrer au sein d’un projet plus large - des archives, œuvres, documents, choisis par l’artiste en lien avec son film, organisés dans un abécédaire incomplet, présentés dans les deux salles qui précèdent et succèdent celle où le film est projeté.

c’est cet abécédaire que j’ai d’abord vu. présenté assez sobrement le long des murs, les vitrines laissent place aux images d’archives contre-collées au mur, aux lettres manuscrites (ou pas), aux télévisions cathodiques, aux livres. formellement, c’est plus ou moins toujours ce type d’accrochage, que ce ça soit dans ''après'' ou dans les autres salles de l’exposition.

honnêtement il y a trop de choses pour parler de tout. alors je vais en tirer quelques parties desquelles je me suis senti plus proche - même si je crois qu’à ce stade, après avoir vu le peu que j’ai vu, je me sens proche de son travail en général.

le A de l’abécédaire est pour Architecture. Baudelaire revient ici sur les dires de LeCorbusier, de sa volonté de transformer les villes, de sa présentation de ''la ville contemporaine de 3 millions d’habitants'', conçue pour créer une ''collectivité harmonieuse'', et ce à travers des extraits d’une lettre écrite par l’architecte, ainsi que certains de ses croquis. en parallèle, l’artiste montre à voir un reportage où l’architecte Georges Candilis retourne à Toulouse, dans le quartier du Mirail qu’il avait dessiné 20 ans plus tôt en s’inspirant de la ville contemporaine du Corbusier. Candilis reçoit différents avis des habitants du quartier, bons et moins bons.. Baudelaire évoque également le projet du SAAL (Service Ambulant du Soutien Local en français) à Lisbonne, où, au lendemain de la révolution des œillets, le service en question avait tenté de développer des solutions de logement destinées aux quartiers plus délabrés.

d’entrée de jeu, je ne peux pas m’empêcher de penser aux propos de Godard dans son entretien avec Ishahgpour (duquel j'ai déjà parlé par rapport à l'exposition Laicriture de Benoit Maire), lorsqu’il parle de ''table de montage comme machine à explorer le temps'', ou mieux, ''d’image comme rencontre juste de deux lointains''. à travers cet abécédaire que propose Baudelaire, l’artiste montre à voir des liens, crée des passerelles dans le temps, les réunit dans l’espace de son exposition. contrairement à ce que l'on pourrait trouver dans un livre d’histoire où ces différentes étapes de l’architecture auraient tendance à figurer dans un ordre chronologique, l’un étant la conséquence de l’autre, ici ils sont présents côte à côte, la lecture n’est pas la même. ce même schéma est répété dans les lettres suivantes : C pour commémorer, E pour Ecole, F pour Fûkeiron (la théorie du paysage), H pour Hypnose, J pour Justice, L pour artistes en Lutte, M pour Mouvement-Image, O pour O mon pays !, P pour Présent / Passé, R pour Rendre des comptes, T pour le Temps presse.

dans Mouvement-Image, Baudelaire montre à voir trois films : deux du collectif Mohamed Salah Azzouzi - ''Zone Immigrée'' et ''Ils ont tué Kader'' ; un du Black Audio Collective. je reste quelques temps devant ''Ils ont tué Kader''. je n’avais jamais entendu parler de ce meurtre datant des années 80, suite auquel les jeunes de banlieue s’étaient soulevés. en voyant cette discussion entre deux journalistes qui veulent reprendre le film que les jeunes montrés à l'écran avaient tourné dans l’urgence au lendemain du meurtre de Kader, je ne peux pas m’empêcher de faire des liens avec ce qu’il se passe aujourd’hui en France et dans le monde. 40 ans plus tard des gens sont encore tués par les forces de l’ordre sans raison. la parole, l’image donnée à et de la banlieue ressemble à ce qui est montré ici. ''on a apprécié votre film mais on va le refaire et vous aurez 8 minutes''... ''les journalistes de TF1 sont passés hier pour nous proposer la même chose''

M pour Mouvement-Image, ça m’intéresse aussi parce’que ''Ils ont tué Kader'', c’est tourné dans un cinéma-direct, en Super 8. en ce moment je lis ''Le cinéma à l’heure des petites caméras'' de René Prédal, et j’en apprends beaucoup sur l’histoire du basculement du cinéma de la pellicule vers le numérique. de plus petites caméras, un parti pris à la fois esthétique à l’encontre de l’image dite ''propre'' (conçue dans des règles de composition et cadrage héritée de la peinture classique) ; technique - Godard pense que la mise en scène finit toujours par se plier à des gestes liés à la nature même de l’équipe de tournage classique, et qu’il est possible d’échapper à ce pli en utilisant de nouvelles caméras ; mais aussi politique. l’apparition du numérique permet à n’importe qui de filmer, et Mohamed Salah-Azouzi se considère comme un collectif dans le sens où ses films sont aussi fabriqués par ceux qui les peuplent.

ce dernier point, Eric Baudelaire le met aussi en place dans ''Un film dramatique'', pour lequel il a gagné le prix Marcel Duchamp cette année. pendant quatre ans, l’artiste est co-auteur avec les élèves d’une classe du collège du collège Dora Maar, à Saint-Denis. les élèves ont tous accès aux caméras, et racontent, de la 6e à la 3e, des parties de leurs vies. ils posent des questions - qu’est-ce qu’être français, qu’est-ce que notre origine, qu’est-ce que le racisme ? si j’étais président, qu’est-ce que je ferais ? pourquoi est donnée l’image donnée à la banlieue ? et puis, par-dessus tout, qu’est-ce qu’on fabrique ensemble ?

Faire Avec, une exposition d’Eric Baudelaire, a lieu du 09.11.2019 au 02.02.2020 au CRAC Occitanie, à Sète.

FAIRE AVEC - ERIC BAUDELAIRE @CRAC OCCITANIE